29 Mayıs 2012 Salı

LA POESİE DE NAZIM HIKMET( 1902-1963)


Je suis né en 1902
Je ne suis jamais revenu dans ma ville natale
Je n’aime pas les retours.
A l’āge de trois ans à Alep, je fis profession de petit-fils de pacha
A dix-neuf ans d’étudiant à l’Université communiste de Moscou
A quarante-neuf ans à Moscou, l’invité du Comité Central,
Et depuis ma quatorzième année, j’exerce le métier de poète.

Il y a des gens qui connaissent les diverses variétés de poissons
                                       Moi celles des séparations.
Il y a des gens qui peuvent citer par cœur le nom des étoiles,
                                      Moi ceux des nostalgies.

J’ai été locataire et des prisons et des grands hôtels,
J’ai connu la faim et aussi la grève de la faim et il n’est pas
                                      De mets dont il ignore le goût.
Quand j’ai atteint trente ans on a voulu me pendre,
A ma quarante-huitième année on a voulu me donner
                                      le Prix mondial de la Paix,
                                      et on me l’a donné.
Au cours de ma trente- sixième année, j’ai parcouru en six mois,
                                      Quatre mètres carrés de béton,
Dans ma cinquante-neuvième année, j’ai volé de la Prague à la Havane
                                      En dix-huit heures.
Je n’ai pas vu Lénine, mais j’ai monté la garde
                                     près de son catafalque en 1924,
En 1961 le mausolée que je visite, ce sont ses livres.
On s’est efforcé de me détacher de mon Parti,
                                    Ça n’a pas marché.
Je n’ai pas été écrasé sous les idoles qui tombent.
En 1951 sur une mer, en compagnie d’un camarada,
                                     J’ai marché vers la mort.
En 1952, le cœur fêlé, j’ai attendu la mort
                                     Quatre mois allongé sur le dos.

J’ai été fou de jalousie des femmes que j’ai aimées.
Je n’ai même pas envié Charlot pour un iota.
J’ai trompé mes femmes
Mais je n’ai jamais médit derrière le dos de mes amis.

J’ai bu sans devenir ivrogne,
Par bonheur, j’ai toujours gagné mon pain à la sueur de mon front.
Si j’ai menti, c’est qu’il m’est arrivé d’avoir honte pour autrui,
J’ai menti pour ne pas peiner sans raison.

J’ai pris le train, l’avion, l’automobile,
La plupart des gens ne peuvent les prendre.
Je suis allé à l’opéra
              La plupart des gens ne peuvent y aller et ignorent même le nom,
Mais là où vont la plupart des gens, je ne suis pas allé depuis 1921 :
             A la Mosquée, à l’église, à la synagogue, au temple, chez le sorcier,
             Mais j’ai lu quelquefois dans le marc de café.

On m’imprime dans trente ou quarante langues
             Mais en Turquie je suis interdit dans ma propre langue.

Je n’ai pas eu de cancer jusqu’à présent,
On N’est pas obligé de l’avoir
Je ne serai pas premier ministre, etc
Et je n’ai aucun penchant pour ce genre d’occupation.

Je nai pas fait la guerre,
Je ne suis pas descendu la nuit dans les abris,
Je n’étais pas sur les routes d’exode,
                                  Sous les avions volant en rase-mottes,
Mais à l’approche de la soixantaine je suis tombé amoureux.
En bref camarade,
Aujourd’hui à Berlin, crevant de nostalgie comme un chien,
                            Je ne puis dire que j’ai vécu comme un homme
Mais le temps qu’il me reste à vivre,
Et ce qui pourra m’arriver
Qui le sait ?                                   (1962)
                                                    
                                        
                                    



Nazım Hikmet est né donc, en 1902, à Salonique. Son père, Hikmet Bey, est fonctionnaire au Ministère des affaires étrangères et sa mère, Djélilé Hanım, qui est peintre connait bien la culture française. Son grand-père, Nazım Pacha, écrit des poèmes avec la métrique « aruz ».

Nazım commence à écrire ses premiers poèmes  au moment où l’Empire ottoman avait été occupé par les pays occidentaux à la suite de la Première Guerre mondiale. Ce sont surtout des poèmes sentimentaux ou nationalistes, car son oncle avait été mort également au front. Et puis, son grand-père, Nazım Pacha, aussi poète, écrivait des poèmes avec la métrique « aruz » du Divan, et sa mère Djélilé Hanım, peintre, connaissait bien la culture française. On peut donc dire que Nazım écrivait ses premiers poèmes sous l’influence de son grand-père, mais aussi de Tevfik Fikret, de Namık Kemal, et aussi de Yahya Kemal qui était professeur du jeune poète à l’Ecole de  la Marine et amoureux de sa mère, corrigeait ses premiers poèmes.

Nazım quitte, avec son ami Vâlâ Nurettin, Istanbul sous l’occupation étrangère et passe à l’Anatolie pour rejoindre le mouvement kémaliste, en 1920, qui mène la guerre contre les Alliées et contre  l’Administration ottomane qui accepte cette occupation. Etant malade, il a été nommé comme professeur au lycée de Bolu. Au cours de ce va et vient, Nazım connait la réalité anatolienne, la pauvreté des gens, la lutte dure des paysans pour l’indépendance, et il part à Moscou pour connaitre de près la Révolution d’Octobre. Il étudie l’économie et la sociologie à l’Université d’Orient (1922-1924).

Après la proclamation de la République, il retourne en Turquie et commence à travailler dans la Revue « Aydınlık : Lumière ». A la suite de sa première condamnation à cause de ses poèmes publiés dans cette revue, il regagne clandestinement la Russie(1926) et deux ans plus tard, il essaye d’entrer en Turquie par la frontière géorgienne et il a été arrêté(1928) à Hopa, petite ville frontalière sur la côte de la Mer Noire.

Nazım s’installe, plus tard,  à İstanbul et travaille dans différents journaux et revues, dans des studios de film, publie premiers recueils de poésie( 835 Lignes :1929, La Jaconde et Si-Ya-U : 1929, Varan 3 : 1930, 1+1= 1 : 1930, Ville qui a perdu sa voix :1931, Le télégramme qui arrive la nuit :1932) écrit des pièces de théâtre, des articles sous de différents noms (1928-1932). Il est de nouveau arrêté et retrouve sa liberté, un an plus tard à l’occasion de la 10e anniversaire de la République. Il continue à travailler comme éditorialiste, rédacteur en chef, sous le nom d’Orhan Selim et publier ses livres : (Pourquoi, Benerdji s’est-il tué ?:1933, Lettres à Taranta Babu :1935, Epopée du Cheik Bedrettin, fils du Cadi de Simavne :1936).

Nazım reste en prison la dernière fois pendant 13 ans(1938-1950) en l’ accusant d’avoir mené des «  activités de propagande parmi les élèves de l’Ecole  militaire à 15 ans de prison par la Cour militaire de l’Ecole de Guerre, et 20 ans de prison par la Cour militaire des forces navales, soit 35 ans de prison au total.

Nazım retrouve sa liberté par une amnistie général, en 1950, à la suite de la prise de pouvoir par le Parti Démocrate et à la suite de la campagne de soutien des intellectuels en Turquie et à l’étranger, surtout en France, créé par Jean Paul Sartre, Louis Aragon, Tristan Tzara, Charles Dobzynsky.Paul Eluard, Pablo Picasso, Paul Robeson et les autres…

Nazım Hikmet est « libéré », mais convoqué pour le service militaire à l’âge de 49 ans, malade, son fils vient de naître, censuré ; décide de quitter, laissant sa femme et son bébé à Istanbul,  clandestinement la Turquie à bord d’un bateau roumain en route dans la Mer Noire, et quelques mois plus tard, le Parlement turc lui enlève la citoyenneté.

A son arrivée à Moscou, il est déçu, car il ne retrouve ses amis qui sont exécutés ou renvoyés dans le goulagues sous la reine  de Staline. Ses critiques envers le régime lui coutent cher, il n’arrive à avoir le passeport et sa pièce de théâtre, « Ivan Ivanoviche a-t-il été existé ? », est interdit à la suite de la deuxième performance. Il a dû avoir la citoyenneté polonaise et son passeport. Il devient membre très actif du Conseil mondial de la paix et participe, malgré ses maladies, à toutes les réunions du Conseil partout dans le monde sauf aux Etats-Unis qui lui refusent le visa.

Nazım Hikmet meurt en exil, à Moscou, en 1963 et il y dort malgré son désir d’être enterré dans un cimetière en Anatolie :
…………….
Camarades, si je meurs avant ce jour
-d’ailleurs, on dirait que c’est parti pour-
enterrez-moi dans un cimetière d’un village anatolien
et si cela conviendrait,
qu’il y ait un platane sur mon tertre,
il n’y aurait pas de stèle vraiment…
                                                         1953, sanatorium de Barviha.

Nazım a passé plus de 15 ans es prison, et puis des années en exil. Mais il n’a jamais baissé la tête devant personne :

Je suis dans la clarté qui s’avance
Mes mains sont toutes pleines de désir
Le monde est beau
Mes yeux ne se lassent pas de regarder les arbres
Les arbres si verts, les arbres si pleins d’espoir
Un s’en va à travers les mûriers
Je suis à la fenêtre de l’infirmerie
Je ne sens pas l’odeur des médicaments
Les oeuillets ont dû s’ouvrir quelque part
Etre captif, là n’est pas la question
Il s’agit de ne pas se rendre
Voilà.



Un certain nombre de livres de Nazım était édité en Bulgarie, en Ajerbaijan, en Russie avant la Turquie. Ses livres sont publiés en Turquie après sa mort et surtout à la suite de la constitution de 1961, par son beau-fils Mehmet Fuat :Epopée de la Guerre d’Indépendance :1965, Poèmes de 21-22h :1965, Paysages Humains de mon Pays :1966-1967, Quatrains (Rubailer) :1966, De quatre prisons :1966, Nouveaux poèmes :1966, et puis Œuvres Complètes en 1980 préparées par Asım Bezirci).

En dehors de ses poèmes, Nazım a écrit 9 pièces de théâtre, quelques scénarios, 3 romans, 4 récits, 5 correspondances, 2 contes et des traductions (y compris la Guerre et la Paix de Tolstoi).

La Poésie de Nazım Hikmet dans la littérature turque

On peut bien sûr parler de la poésie de Tevfik Fikret, d’Ahmet Haşim, de Yahya Kemal qui font le pont entre la poésie du Divan(du Sérail de l’Empire ottoman) et la jeune poésie du XXe siècle (ou de la poésie de la période républicaine), mais la poésie de Nazım Hikmet est le vrai passage ou une révolution poétique entre la tradition et le nouveau dans tous les sens du terme : la forme, le contenu, le langage, le rythme, le son, l’image métaphorique, etc. Il est considéré, avant tout, comme le premier poète  de la réalité sociale ou encore socialiste qui se base sur une conscience marxiste. C’est la première fois que dans la littérature turque, avec Nazım, qu’on traite des problèmes des ouvriers, des paysans, des travailleurs en général, et Nazım marque sa position contre l’exploitation de l’homme par l’homme et pour une fraternité humaine, pour un monde nouveau où chacun pourrait vivre dans la dignité et dans la justice:
                         « ……
                         Que se ferment les portes des autres
                         Qu’elles se ferment pour toujours
                         Que cesse d’être esclave des autres
                         Cet appel est le notre.

                         Vivre seul et libre comme un arbre
                          Vivre en frères comme les arbres d’une foret
                           Ce rêve est le notre. »[1]
               
En 1935, Nazım écrit les vers suivants  l’orientation de sa poésie:

                         Je n’ai ni coursiers à la selle argentée
                         Ni revenus venant de je ne sais où
                         Je n’ai ni bien ni domaine
                         Je n’ai qu’un bol de miel
                         De miel couleur de flamme.
                         Mon miel et mon seul bien,
                         Contre toutes sortes d’insectes.
                         Je protège mon domaine et mon miel
                         C’est-à-dire mon bol de miel.
                         Patience, frère, patience
                         « Pourvu que tu aies le miel dans ton bol,
                          Son abeille viendra de Bagdat. »[2]

Il l’explique : « …Il était nécessaire d’exprimer les choses nouvelles dans les problèmes. La question de la nouvelle  forme compatible avec la nouvelle matière m’a intéressé avant tout, dans cette affaire. J’ai commencé avec la rime. Au lieu de les mettre à la fin du vers, je les ai essayés, à la fin et au début. » Et puis, la rencontre avec la poésie de Mayakovski, c’est-à-dire, le « vers libre » lui attire l’attention. « Nous avons traversé la zone de la famine lors du passage de Batoum à Moscou. Tout ce que j’ai vu, a exercé une grande influence sur moi. Mais j’ai voulu crier ma conviction qu’une telle famine ne pourrait détruire la Révolution. J’ai voulu composer un poème sur la famine à Moscou en utilisant le rythme syllabique et ses diverses combinaisons, mais cela n’a pas marché. Et je me suis souvenu de la forme du poème que j’avais vu à Batoum. J’ai bien vu que ce n’était pas le rythme libre de la Poésie française que je connaissais très bien. En pensant que le poème réfléchissant sur le mode des ondes, j’ai composé « Prunelles des affamés ». Ce poème est très différent avec sa structure consistant en vers cassés. » :

« Pas quelques uns
                      pas cinq ni dix
                                  mais trente millions
                                                                 d’affamés
                                                                                 nous en avons !
Il sont
          nôtres
Nous sommes
                   leurs !
Les vagues
         sont  à la mer !
La mer
         Est aux vagues !
………. “

“Değil birkaç
                 değil beş on
                                 otuz milyon
                                                   
                                                        bizim!
Onlar
        bizim!
Biz
       onların!
Dalgalar
       denizin!
Deniz
        dalgaların!
…….”.
Dans son premier recueil  de poèmes, intitulé 835 lignes,  publié en 1929, porte une certaine influence des futuristes et de constructivistes russes. Car le principe fondamental du futurisme est qu’il existe une admiration pour la technologie  et la vitesse. Pour lui, « le fond doit déterminer la forme. » ou bien la forme du poème doit être conçue selon le fond. C’est comme dans cette exemple : « Trrrrrum trak/trrrrum trak/ tiki tak/ je ceux me mécaniser// Trrrrım trak/trrrrım trak/ma-ki-na-laş-mak/ is-ti-yo-rum/… »

C’est ainsi que Nazım a détruit complètement les structures traditionnelles de la poésie turque ou du vers qui présentait un ordre en marchepied, surtout dans la poésie du Divan où la métrique de la poésie persane et celle d’arabe étaient dominantes. Hikmet arrive même à découper les mots, juste au milieu et à les réduire parfois en une seule syllabe. Car le Turc le permet à cause de sa structure agglutinante, et avec les autres instruments de la poésie ; le choix des mots, des rimes, les répétitions, parfois l’utilisation de rythmes syllabique et classique, etc., Nazım arrive à avoir un certain chant de musique polyphonique qu’ on ne le voit pas exactement dans la traduction en Français :

Salkımsöğüt / Le saule pleureur

Akıyordu su
gösterip aynasında söğüt ağaçlarını.
Salkımsöğütler yıkıyordu suda saçlarını !
Yanan yalın kılçları çarparak söğütlere
koşuyordu kızıl atlılar güneşin battığı yere !
Birden
Bire kuş gibi
                  vurulmuş gibi
                                    kanadından
yaralı bir atlı yuvarlandı atından !
Bağırmadı,
gidenleri geri çağırmadı,
baktı yalnız dolu gözlerle
                  uzaklaşan atılıların parıldayan nallarına !

Ah ne yazık !
          Ne yazık ki ona
örtnal gidenatların köpüklü boynuna bir daha yatmayacak,
beyaz orduların ardında kılıç oynatmayacak !


Nal sesleri sönüyor perde perde,
atlılar kayboluyor güneşin battığı yerde !


Atlılar atlılar kızıl atlılar,
atları ruzgâr kanatlılar!
Atları rüzgâr kanat…
Atları rüzgâr…
Atları…
At…

Rüzgar kanatlı atlilar gibi geçti hayat!
…….

L’eau coulait
en montrant les saules dans son miroir.
Les saules pleureurs se lavaient les cheveux dans l’eau !
En frappant leurs épées brûlantes contre les saules
Les chevaliers rouges courraient vers le cocher du soleil !
Soudain
comme un oiseau
                       blessé
                           de l’aile
Un chevalier est tombe de son cheval !
Il n’a pas crié.
Il n’a pas rappeler ceux qui étaient déjà partis.
Il les a regardés seulement, les larmes aux yeux,
                                              les fers étincelants des chevaux s’éloigner au loin !

Ah quel malheur !
                 Quel malheur
qu’il ne pourra plus monter à son cheval écumant
ni tirer le sabre dans les armées blanches !

Les bruits ders fers s’éteignent un à un
et les chevaliers disparaissent au couchant !

Chevaliers, chevaliers, chevaliers rouges,
dont les  chevaux ont des ailes de vent !
leurs chevaux aux ailes de vent…
leurs chevaux de vent…
Leurs chevaux…
Cheval…

La vie a passé comme les chevaliers aux ailes de vent !
…………

 On y ajoute aussi le changement dans sa vision du monde, dans sa conscience. Au cours de son séjour en Union soviétique, il adhère à la philosophie  marxiste et il essaie de traiter les choses selon le matérialisme historique et dialectique. Il tente de concilier, dans ses œuvres, le verbe et l’action :

                       Je suis parmi les hommes j’aime les hommes
                       J’aime l’action
                       J’aime la pensée
                       J’aime mon combat
                      Tu es un être humain dans mon combat
                      Je t’aime. [3]

A coté du contenu, c’est-à-dire de la pensée et du sentiment, il cherche « la mélodie et l’harmonie à la fois, le rime te l’absence de rime, le violon en solo et l’orchestre en même temps. Autrement dit, toutes les formes et mesures dynamiques, convenables pour la poésie, nécessaires pour refléter toute la réalité dans son ensemble avec tout son mouvement, incluant le passé, le présent et l’avenir et l’homme actif à l’intérieur de cette réalité. » Voilà  un petit fragment de la« cinquième lettre à Taranta Babu » :

Si grand,
si beau est notre monde
et si vaste les bords des mers
que nous pouvons chaque nuit
                    nous allongeant côte à côte sur les sables d’or
chanter les eaux étoilées.
Que c’est beau de vivre
               TARANTA-BABU
                                 que c’est beau de vivre
comprenant le monde comme un livre
le sentant comme un chant d’amour
s’étonnant comme un enfant
                                        VIVRE…
Vivre un à un
                 et tous ensemble
Vivre comme on tisse un tissu en soie
Comme un chant en chœur
                  Un hymne à la joie

Vivre…
Et pourtant quelle drôle d’affaire, TARANTA-BABU
quelle drôle d’histoire
que cette chose incroyablement belle
que cette chose indiciblement joyeuse
soit tellement étroite
 tellement sanglante
tellement dégoutante...

On voit cette technique mixte aussi bien dans les formes poétiques que dans les proses, et surtout dans les épopées qui contiennent parfois des éléments contradictoires de la poésie, de la prose, du théâtre et du scénario.

La poésie de Nazım Hikmet nous dérange, nous fait penser, nous rapproche, nous fait aimer les autres et nous-mêmes, nous donne la joie de vivre, la force de combattre pour les choses meilleures, nous montre les deux cotés de la réalité sociale, nos droits, mais aussi nos devoirs, nos libertés, mais aussi nos responsabilités. Il nous aide à comprendre la vie, comprendre ce qui s’en va et ce qui vient, à avoir une conscience du monde, à savoir comment nous pouvons nous développer et à développer les autres. Nous sommes tous apprenants ou apprentis, nous sommes tous ignorants et savants, conscients ou inconscients, nous sommes tous dans le combat, dans l’action, pour avoir de l’espoir, de la liberté, mais aussi de l’amour :
                                     « Des berceuses que chantent les mères
                                                                                            Aux nouvelles que lit le speaker
                                    Vaincre le mensonge partout dans le monde
                                     Dans le cœur, dans le livre, dans la rue.
                                     Quel bonheur fantastique que de comprendre
                                     Comprendre ce qui s’en va et ce qui vient. »
                                                                                                          
Les mots sont parfois tristes, lourds et amers, mais aussi scintillants, joyeux, chargés d’espoir, braves, héroïques :

                   Dans cette nuit d’automne
                   Je suis tout plein de tes mots,
                   Mots éternels comme le temps, la matière,
                   Mots lourds comme la main,
                   Mots scintillants comme les étoiles.
                   De ton cœur, de ta tête, de ta chair
                   Tes mots me sont parvenus,
                  Tes mots tout chargés de toi,
                  Tes mots, mère,
                  Tes mots, femme,
                  Tes mots, amie.
                  Ils étaient tristes, amers,
                  Ils étaient joyeux, chargés d’espoir,
                  Ils étaient braves, héroïques,
                 Tes mots étaient des hommes.[4]

Pour Nazım, la vie n’est pas une plaisanterie. Elle est  à apprendre, à réfléchir et à créer, et surtout, il faut la prendre au sérieux :
      
La vie n’est pas une plaisanterie
Tu prendras au sérieux,
                              Comme le fait un écureuil, par exemple,
Sans rien attendre du dehors et d’au-delà.
Tu n’auras rien d’autre à faire que de vivre.

La vie n’est pas une plaisanterie,
Tu la prendras au sérieux,
Mais au sérieux à tel point,
Qu’adossé au mur, par exemple, les mains liés
Ou dans un laboratoire
                    En chemise blanche, avec de grandes lunettes,
Tu mourras pour que vivent les hommes,
Les hommes dont tu n’auras même pas vu le visage,
Et tu mourras tout en sachant
Que rien n’est plus beau, rien n’est plus vrai que la vie.
Tu la prendras au séreux
Mais au sérieux à tel point
Qu’à soixante-dix ans, par exemple, tu planteras des oliviers
Non pas pour qu’ils restent à tes enfants
Mais parce que tu ne croiras pas à la mort
                                                            Tout en redoutant
Mais parce que la vie pèsera plus lourd dans ta balance.[5] (1948)


Nazım Hikmet passe, à peu près, 15 ans en prison où il vit de bons et surtout de mauvais moments, mais sans se plaindre. Il vit toujours avec l’extérieur, avec le reste du monde, avec la grande humanité. Il partage tout avec tout le monde : sa vie, sa joie, sa tristesse, ses connaissances, ses compétences, ses biens, ses idées, son bonheur, on cœur :

Si la moitié de mon cœur est ici, docteur,
L’autre moitié est en Chine
Dans l’armée qui descend vers l Fleuve Jaune.
Et puis tous les matins, docteur,
Tous les matins à l’aube,
Mon cœur est fusillé en Grèce.
Et puis, quand les prisonniers tombent dans le sommeil,
Quand les derniers pas s’éloignent de l’infirmerie,
Mon cœur s’en va, docteur,
Il s’en va dans une vieille maison en bois, à Istanbul.
Et puis voilà dix ans, docteur,
Que je n’ai rien dans les mains pour offrir à mon pauvre peuple
Rien d’autre qu’une pomme
Une pomme rouge, mon cœur.
C’est à cause de tout cela, docteur,
Et non pas à cause de l’artériosclérose, de la nicotine, de la prison,
Que j’ai cette angine de poitrine.
Je regarde la nuit à travers les barreaux
Et malgré tous ces murs qui pèsent sur ma poitrine
Mon cœur bat avec l’étoile la plus lointaine.[6]
                                                                        (1948)
On peut dire facilement que son combat était sa poésie et sa poésie était son combat. En Turquie, en URSS ou ailleurs. Quelles que soient les circonstances, il a vécu comme il pensait, comme il sentait. C’est-à-dire comme un homme….

La plus belle des mers / est celle où l’on n’est pas encore allé. / Le plus beau des enfants
n’a pas encore grandi. / Les plus beaux jours, / Les plus beaux de nos jours / on ne les a pas encore vécus. / Et ce que moi je voudrais te dire de plus beau / Je ne l’ai pas encore dit.


[1] Nazım Hikmet, Anthologie poétique, Les Editeurs Français Réunis, Paris, 1964,p. 317
[2] Ibid, p. 46
[3] Ibid, p. 97
[4] Ibid, p. 98.
[5] Ibid, p. 112
[6] Ibid, p. 109

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